Sevrages en prison et en psychiatrie : leçons à tirer d’un effet collatéral du confinement
Par Michael Bisch (Responsable du Département d'Addictologie du Grand Nancy) et Benjamin Rolland (Responsable du SUAL, Lyon)
Via ADDICT'AIDE
Comme de nombreux pays en Europe et dans le Monde, la France fait face à la crise inédite du COVID-19. Depuis le 17 mars 2020, la population est confinée à domicile, afin de limiter la propagation du virus. La plupart des hôpitaux psychiatriques ont fermé leurs portes et se sont mis à filtrer rigoureusement les entrées. Les visites ont été interdites. Similairement, en prison, les parloirs ont été suspendus du jour au lendemain, le jour même du confinement. Contrairement à ce qui a pu se passer en Italie, cette mesure n’a pas suscité de mouvement de rébellion important. Selon les soignants travaillant en milieu pénitentiaire, les détenus comprennent bien les enjeux dans l’ensemble, et perçoivent qu’ils constituent une population à risque, notamment parce que soumise à une importante promiscuité.
Depuis le début du confinement, de nombreuses remontées du terrain font état de situation de sevrage aigu, en psychiatrie aussi bien qu’en prison. L’étendue exacte du phénomène est difficile à définir en l’état, en raison de la survenue brutale et imprévue de la crise actuelle. Néanmoins, les mêmes constats remontent de nombreuses institutions un peu partout en France. Les cas les plus fréquents sont les sevrages au cannabis, et à un niveau plus limité, les sevrages aux médicaments opioïdes, comme le tramadol ou la buprénorphine. Alors que le gouvernement a décidé de fermer tous les points de vente « non-essentiels », tels que les bars ou les restaurants, les magasins de nourriture restent ouverts, et l’alcool reste ainsi à disposition. De la même façon, les ventes de tabac ont été maintenues, et après des tergiversations, les boutiques de vape également. Par opposition, les mesures de confinement ont manifestement mis à mal le trafic et la vente de stupéfiants. Les frontières de l’UE ont été fermées, et les frontières nationales sont strictement contrôlées. La circulation et le regroupement de personnes dans l’espace public sont désormais respectivement contrôlée et interdit. Dans les institutions telles que la prison ou l’hôpital psychiatrique, cette situation nationale est encore plus marquée, du fait de l’isolement quasi-total qui s’est mis en place du fait de la fermeture des portes.
Cette situation sans précédent appelle plusieurs commentaires. D’abord, par effet de contraste, le constat actuel met en lumière l’importance, en temps normal, du trafic et de la consommation de drogues en prison, mais aussi en hôpital psychiatrique. Dans la littérature médicale internationale, l’importance de l’usage de drogues en prison, et les modes d’entrées ainsi que le trafic qui vont avec ont déjà fait l’objet de nombreux travaux. C’est nettement moins le cas pour la consommation de drogues, en particulier de cannabis, au sein des hôpitaux psychiatriques. Cela reste un phénomène très peu étudié, et parfois au sein des institutions, c’est un grand tabou car il n’est pas facile de lutter contre la vente et la circulation de produits. Pourtant, parce que de nombreux patients hospitalisés souffrent de troubles psychotiques ou d’autres pathologies aggravées par l’usage de cannabis, le fait que les hôpitaux psychiatriques soient envahis par ce produit pose un certain nombre de problèmes, notamment sur le pronostic des patients.
Pour ce qui concerne davantage les enjeux généraux de santé publique, tous ces constats illustrent la situation compliquée du cannabis en France. Substance particulièrement « démocratisée » dans notre pays, avec 11% d’usagers actuels parmi lesquels presque 25% seraient à risque d’addiction, son statut illégal l’a rendu manifestement beaucoup moins « essentiel » aux yeux des pouvoirs publics que l’alcool ou le tabac. Même les sujets avec addiction aux opioïdes ont été mieux lotis avec le confinement, puisqu’une mesure exceptionnelle leur permet d’avoir un renouvellement d’ordonnance automatique jusqu’à fin mai pour leur traitement de de substitution. Le cannabis reste décidément un grand tabou des autorités françaises, et, de manière anecdotique durant le drame actuel que connait le pays, les situations de sevrage rapportées de-ci de-là en milieu confiné viennent le rappeler presque banalement. Il sera utile que la mission d’information parlementaire sur les usages du cannabis en France se nourrisse de cette triste expérience dans son travail de proposition d’évolution des politiques publiques.
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