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Un article du Monde décrypte le rapport IGAS favorable aux Haltes Soins Addictions, et resté très discret dans le monde politique.

Article du 18 novembre 2024

Alors que le ministre de l’intérieur, Bruno Retailleau, s’est dit défavorable à ces lieux où la consommation de certaines drogues est autorisée, les inspecteurs des affaires sociales et de l’administration plaident, à l’inverse, pour leur maintien et l’ouverture de nouveaux sites, en appelant à un « portage politique assumé ».



Son contenu explique sans doute qu’il n’ait pas encore été rendu public. A rebours des prises de position très critiques du ministre de l’intérieur, Bruno Retailleau, qui s’est dit défavorable aux « salles de shoot », le rapport sur les haltes soins addictions (HSA) – leur appellation actuelle – commandé par le gouvernement aux inspections au printemps, plaide clairement en leur faveur. Dans le document d’une soixantaine de pages – hors annexes – que le Monde a pu consulter, les inspecteurs des affaires sociales (IGAS) et de l’administration (IGA), appellent à « inscrire dans le droit commun » ces dispositifs, encore sous statut expérimental, « afin de prévoir, en droit, la possibilité d’ouvrir de nouveaux espaces de consommation supervisée ».

Commandée par les ministres de la santé et de l’intérieur, cette évaluation devait aider le gouvernement à trancher sur l’avenir de ces dispositifs, qui font encore régulièrement polémique, souffrant d’un « défaut marqué d’acceptabilité sociale par les citadins résidant à proximité des lieux », lit-on dans la lettre de mission. Ils « peuvent parfois être perçus par certains acteurs », en dehors des cercles de la santé, « davantage comme un accompagnement à la consommation que [comme] la possibilité offerte à des consommateurs d’entrer dans un parcours de soins ». Les ministres ont demandé aux inspections d’évaluer la « pertinence » de ces salles – la France en compte deux, l’une à Paris l’autre à Strasbourg – en matière sanitaire tout comme sur le plan de l’ordre public. En amont d’une nouvelle évaluation scientifique qui doit, elle, être menée avant la fin de l’expérimentation (fixée au 1er décembre 2025).


Après avoir entendu les acteurs concernés, dont les services de police et les parquets, la mission recommande de « mener à son terme l’expérimentation en cours ». « La fermeture [des] deux HSA dégraderait la tranquillité publique, mettrait en danger des usagers aux conditions de vie très précaires et mobiliserait inutilement des forces de police pour gérer les consommations rendues à l’espace public, soulignent les rapporteurs ; elle interviendrait à contretemps, dans un contexte de disponibilité accrue des stupéfiants, alors que les professionnels de l’addictologie alertent sur “la vague qui monte”. »



Politiquement, le sujet, défendu lors du premier quinquennat d’Emmanuel Macron par l’ancien ministre de la santé, Olivier Véran, a perdu tout porte-voix. « La politique publique de réduction des risques, dont les haltes soins addiction sont partie intégrante, doit bénéficier d’un portage assumé et univoque à tous les niveaux », écrivent d’ailleurs les inspecteurs.


Un discours politique qui s’est durci

Le discours à l’égard des usagers, qui s’était déjà beaucoup durci sous le précédent gouvernement, a franchi un cap avec l’installation place Beauvau de Bruno Retailleau. « Les salles de shoot créent plus de problèmes qu’elles n’en règlent, a fait valoir le ministre de l’intérieur dans le JDNews, estimant que le consommateur doit prendre conscience de ses responsabilités : fumer un joint ou prendre un rail de coke, c’est d’avoir du sang sur les mains. » Une image proche de celle avancée, en leur temps, par Gérald Darmanin, son prédécesseur à l’intérieur, ou Eric Dupont-Moretti, anciennement à la justice. « Soigner ce n’est pas tout accepter, tout excuser », a aussi défendu M. Retailleau, avant d’annoncer un plan d’action contre les stupéfiants. Un discours très mal reçu dans les rangs des addictologues, des médecins et des associations du secteur.



C’est lorsque la gauche était au pouvoir, avec la loi « de modernisation de notre système de santé » de la ministre Marisol Touraine de 2016, que les salles de consommation à moindre risque (leur ancienne appellation) ont été autorisées sous le statut de l’expérimentation. Avec cette particularité de permettre la consommation de drogues, sous supervision, en dérogeant à l’interdiction pénale en vigueur depuis 1970. L’expérimentation a été prolongée en 2022, pour encore trois ans, jusqu’en 2025, donc. L’idée était alors d’accompagner l’ouverture de nouvelles structures face aux besoins croissants. Sans résultat : à Paris, à Marseille, à Lyon, à Lille… les projets n’ont pas été concrétisés.


Dans leur rapport, les inspecteurs apportent plusieurs arguments en faveur de ces dispositifs sanitaires. Alors que l’opposition des riverains est l’un des motifs avancés par les collectivités pour renoncer à l’ouverture de ces salles, les inspecteurs confirment qu’elles « améliorent la tranquillité publique » en diminuant les consommations de rue, conformément aux conclusions de l’étude scientifique menée par l’Inserm en 2021. Elles « n’engendrent pas de délinquance », écrivent-ils aussi. A titre d’exemple, les seringues ramassées autour de la salle parisienne sont passées, depuis 2016, de 150 à moins de dix par jour. Quelque 550 000 injections ont eu lieu dans les deux structures, soit autant de moins dans l’espace public. Leurs bénéfices pour les usagers sont en outre documentés de longue date (diminution du risque de transmission infectieuse, de surdose…).


150 à l’étranger

L’intérêt de ce rapport est aussi de livrer une photographie de ces salles, et, à travers elles, de leurs usagers, qui « ne sauraient être confondus avec d’autres consommateurs dits “récréatifs” et insérés socialement ». La salle parisienne Jean-Pierre Lhomme, gérée par l’association Gaïa dans le 10e arrondissement, enregistre, en moyenne, 194 consommations par jour et une file active de 781 personnes en 2023 – un chiffre en augmentation depuis 2021. Elle n’est ouverte, depuis la crise sanitaire, qu’aux personnes s’injectant des drogues (pas aux consommateurs de crack, qui l’inhalent). La salle Argos de Strasbourg a, elle, une file active comparable (824 personnes) mais n’enregistre, en moyenne, que 49 passages par jour. Elle est ouverte aux usagers injecteurs et aux inhalateurs.



L’une comme l’autre accueillent un public en rupture avec la plupart des services de droit commun, souvent sans suivi médico-social, très souvent aussi sans domicile fixe – 75 % à Paris. Au total, 1 600 personnes les fréquentent, soit moins de 1 % des 342 000 consommateurs dits problématiques (qui se droguent par voie intraveineuse, ou consomment opioïdes, cocaïne ou amphétamines).


Les inspecteurs le soulignent : « Toutes les nuisances liées à la drogue ne disparaissent pas pour autant », « il reste des consommations dans l’espace public ». Le nombre de salles, à Paris notamment, est jugé insuffisant, quand il en existe par exemple sept à Berlin, quatre à Hambourg, deux à Cologne… Quelque 150 ont, au total, été recensées dans seize pays. Et de rappeler que la consommation de drogues pré-existe dans ces quartiers, ce ne sont pas les salles qui « créent le problème ».

 

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